Rôle du médecin généraliste dans la prise en charge précoce des métastases de la colonne vertébrale
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Disons-le d’emblée, le rôle du médecin généraliste dans la prise en charge précoce des patients atteints de métastases rachidiennes est essentiel : il est leur premier interlocuteur et celui qui en connaît le mieux l’histoire médicale et le parcours oncologique.
Dans une étude prospective concernant une population ayant un antécédent de cancer et dont le titre « Don’t Wait for a Sensory Level – Listen to the Symptoms » résume à lui seul l’essence du sujet, les patients avaient exprimé une douleur à leur médecin référent plus de deux mois avant le diagnostic de compression médullaire – au stade où 82% d’entre eux n’étaient plus capables de marcher seul ou sans aide*. Cette étude ne faisait que souligner les carences de diagnostic précoce qui avaient conduit l’année précédente des radiothérapeutes hollandais, lassés de recevoir en fin de semaine 30% des demandes de radiothérapie en urgence, à publier un article célèbre intitulé « Always on a Friday? Time pattern of referral for spinal cord compression » **, la même équipe faisant 12 ans plus tard le triste constat que la situation s’était … aggravée.
Toute douleur rachidienne « anormale » par son intensité, sa durée, son caractère rebelle aux antalgiques habituels, doit donc être considérée dans cette population comme une métastase et/ou une épidurite (inflammation située au niveau du tissu épidural, c’est-à-dire la membrane qui se trouve juste à côté de la moelle épinière) jusqu’à la preuve du contraire apportée par l’imagerie. Cette douleur est d’autant plus suspecte qu’elle concerne le rachis dorsal ou qu’elle s’accompagne d’une radiculalgie intercostale ou dans un des membres, due en général à la compression d’une racine d’un nerf rachidien près de la colonne vertébrale.
Très schématiquement, on distingue d’une part les douleurs à caractère « mécanique », déclenchées ou majorées par les mouvements ou les positions « en charge » et améliorées (au moins au début) par le décubitus, corps allongé à l’horizontale, signes d’instabilité. D’autre part, on observe des douleurs de type inflammatoire, présentes même au repos, se majorant en seconde partie de nuit (ce sont les douleurs « à dormir debout »), s’accompagnant ou non de radiculalgie, due en général à la compression d’une racine d’un nerf rachidien près de la colonne vertébrale, calmées par les anti inflammatoires et devant faire suspecter une épidurite.
Outre l’éducation des patients sur la fonction d’alerte que revêt chez eux toute douleur rachidienne inhabituelle et le traitement symptomatique initial de celle-ci, ce sont les demandes rapides d’examens d’imagerie appropriés et d’avis spécialisé auprès d’un chirurgien du rachis compétent en oncologie qui donnent au médecin généraliste une place essentielle dans la prise en charge précoce de leurs patients ayant un antécédent de cancer à un stade où en l’absence de complication neurologique. Il est important alors de savoir qu’aujourd’hui un seul examen est à réaliser : une IRM rachidienne sans injection, sauf rare contre-indication. Par ailleurs, les techniques de reconstruction vertébrale percutanées apparaissent alors dans l’arsenal thérapeutique comme des traitements locaux de premier plan.
Ensuite ces techniques s’entendent comme l’ensemble des techniques utilisées pour obtenir une stabilisation intra vertébrale et corriger, lorsque cela est possible, une déformation. Elles recouvrent une grande variété de procédures mais ont toutes en commun une cimentoplastie vertébrale ou vertébroplastie, c’est à dire le dépôt dans le corps vertébral par un abord percutané, sous contrôle radiologique, d’un ciment acrylique médical à travers une aiguille (trocart). Une biopsie précède systématiquement l’injection du polymère.
La vertébroplastie, très peu invasive, apparaît actuellement comme la plus adaptée pour consolider un corps vertébral douloureux pathologiquement fragilisé ou fracturé afin de renforcer la structure osseuse et/ou de stabiliser la fracture. La stabilisation obtenue dans la majorité des cas permet d’obtenir rapidement et durablement une diminution souvent très significative des douleurs et une amélioration de la qualité de vie des patients (70 à 92 % de succès publiés, le « succès » étant l’ « obtention d’une réduction significative de la douleur et/ou une amélioration de la mobilité »).
La vertébroplastie est ainsi devenue un geste majeur dans la prise en charge des métastases rachidiennes : initialement utilisée pour obtenir un effet antalgique en cas d’échec ou de récidive après traitement local (radiothérapie ou chirurgie), elle prend une place de plus en plus importante dans le traitement des métastases dès le stade de leur découverte. Ainsi, les recommandations de la RCP Nice-Saint-Paul-de-Vence 2013 concernant la prise en charge locale des métastases osseuses des cancers du sein, le plus ostéophile, précisent elles :
« qu’en l’absence de signe neurologique mais lorsqu’il existe des signes d’instabilité, discuter en première intention un geste de stabilisation sur une métastases osseuse lytique, que la patiente soit symptomatique ou non et si l’atteinte osseuse est focale ou oligofocale », et que « la multiplicité des techniques et des intervenants nécessite que le traitement de la métastase osseuse se fasse de façon coordonnée, réglée et préventive de l’atteinte fonctionnelle. Les traitements locaux doivent s’envisager au cours du parcours de soin du patient sans en retarder la prise en charge »
Os, cible thérapeutique, Oncologie, RCP 2013
C’est tout l’intérêt d’un diagnostic précoce (« time is function ») et d’une demande rapide d’avis spécialisé – permettant un traitement local précoce encore très peu invasif à ce stade et sans impact négatif sur le traitement systémique – pour lesquels le médecin généraliste a non seulement la première place, mais une place essentielle.
* (Levack P. et al, Clinical Oncology, 2002)
**(Poortmans P. et al, Acta Oncol, 2001)
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